
Feuille d’information 16 février au 1er mars 2025
Heureux vous qui écoutez le Verbe fait chair
La liturgie nous fait entendre ce dimanche l’évangile des béatitudes dans sa version lucanienne. Le nom même de béatitudes est inadapté chez saint Luc, il s’agit plus exactement de quatre béatitudes et de quatre lamentations en exacte opposition. Le ton semble ainsi plus grave que chez saint Matthieu, voire même un brin contrariant… Contrariant car il vient remettre en cause un certain bonheur mondain, un bien-être que chacun serait fort heureux de posséder (je suis repu, la vie m’est légère, j’ai bonne réputation). Ces lamentations que Jésus prononce nous embêtent, ces béatitudes nous déconcertent. Nous réglons volontiers la question en disant que c’est une vision un peu binaire de la vie ! Et pourtant le psaume appuie dans le même sens… Il faut se rendre à l’évidence : à plusieurs reprises, les Écritures Saintes présentent deux voies offertes à l’homme ; et le mettent en demeure de choisir. Au quotidien, les choix que nous faisons ne paraissent pas si tranchés ; mais la Parole de Dieu nous rappelle qu’au fond, ils supposent toujours un choix explicite du Bien ou sa négation.
Cette question se pose très explicitement au sujet de l’intelligence artificielle, alors que s’achève à Paris un sommet mondial qui s’est tenu sur le sujet la semaine passée. Jean-Paul II posait déjà la question suivante dans Redemptor hominis : « Dans ce contexte, est-ce que l’homme, en tant qu’homme, se développe et progresse, ou est-ce qu’il régresse et se dégrade dans son humanité ? ». Les progrès fulgurants des agents conversationnels, le travail accompli pour leur donner l’illusion d’une personnalité posent de graves questions. Le suicide il y a un an d’une adolescente aux États-Unis reste dans les mémoires ; le robot conversationnel à qui elle confiait ses doutes lui aurait répondu : « ce n’est pas une raison pour ne pas aller au bout ». Le développement de ces technologies va dans le sens d’une confusion délibérée entre l’humain et la machine. Si nos sociétés ne posent pas un choix explicite en faveur de la vérité de l’homme et de la machine, nous sommes en droit de nous demander dans quelle mesure elles resteront humaines.
« La créature sans le Créateur s’évanouit » : cette formule du Concile Vatican II s’adresse avec toujours plus d’acuité à l’homme du XXIe siècle. « Maudit soit l’homme qui met sa foi dans un être mortel tandis que son cœur se détourne de Dieu » nous dit Jérémie ce dimanche. Sur quoi l’homme fait-il reposer sa vie ? Un être mortel ? Un robot conversationnel ? Nous sommes ainsi ramenés à la mission de l’Église : donner au monde une parole de vie éternelle – le Verbe qui s’est fait chair – et qui ne pourra jamais être produite par du « renseignement synthétique ». Quand bien même la mission de l’Église pourrait intégrer ces nouvelles technologies pour leur « donner une tonalité pastorale voulue dans un monde où la quête de sens et le désir de répondre aux questions existentielles restent fondamentaux » (cf. le colloque organisé à la CEF le 10 février dernier), ce sera toujours comme une proposition vers un au-delà de l’homme : la relation à son Créateur et son Sauveur au sein d’une communauté dans lequel Il se donne comme une chair à manger. « Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés. » !
Père Louis THIERS